Le Département moins proche des Seinomarins.
Monsieur le Président, dans deux mois jour pour jour, vous fêterez sans doute, même sobrement, le premier anniversaire de votre élection à la tête du Département. Peu de Seinomarins, hélas, partageront la dimension festive de ce rendez-vous. Car les décisions que vous avez prises au cours des dix derniers mois n’ont fait qu’éloigner notre collectivité des habitantes et habitants de la Seine-Maritime… celles et ceux que vous ne voulez plus appeler autrement, puisque même le nom des Seinomarins est désormais tenu à distance. Les choix que vous nous soumettrez aujourd’hui ne feront qu’aggraver ce constat d’éloignement, dont les effets concrets pèsent avant tout sur les plus démunis. Je veux ici les dénoncer.
Où est le projet ?
Certes, vous avez mis plusieurs mois à identifier des priorités d’action un tant soit peu lisibles, alors même que vous siégez au Département depuis plus de 20 ans, que vous prétendiez incarner « l’alternance » et que sa concrétisation relevait, selon vous, de l’urgence. Mais, sans attendre l’aboutissement formel de votre réflexion, nous avons pu, tout au long de l’année 2015, identifier l’obsession qui l’inspire : votre souci de poser en bon gestionnaire, en affectant – dès votre arrivée – l’intégralité des marges de manœuvre de la collectivité au remboursement de ses emprunts, soit 20 millions d’euros par an, au lieu des 10 que nous tenions déjà. Un choix que vous avez paré des vertus du bon sens… mais qui n’en a que l’apparence et dont les Seinomarins paieront longtemps les conséquences. Car, en procédant de la sorte, avant même de disposer de l’audit que vous disiez pourtant indispensable à toute projection d’avenir, vous avez contredit votre attachement revendiqué au pragmatisme.
Où est la bonne gestion ?
Où est le bon sens dans cette chronologie ? Qu’y avait-il de pragmatique à priver ainsi votre propre majorité de toute capacité d’action, à peine élue, en fléchant les surplus disponibles vers les banquiers plutôt que les projets, sans mesurer l’effet de ce choix originel sur ceux à venir ? Où est la bonne gestion, quand 10 millions de recettes dégagés par les excédents antérieurs sont neutralisés subitement, au lieu de financer le plan d’investissement, que vous n’avez pourtant pas modifié ? Fallait-il, pour marquer les esprits durant vos « cent jours », prendre le risque de briser la chaine pluriannuelle qui garantit nos équilibres financiers ? Comment, en effet, tenir ces équilibres dans la durée, après avoir renoncé d’emblée aux fruits des efforts antérieurs ?
Où est l’équité ?
En réalité, vous avez été aveuglé par vos critiques d’opposant. Elles vous ont empêché de voir comme un outil pertinent la trajectoire de diminution maîtrisée dans laquelle nous avions inscrit la dette, depuis 2013, pour que sa réduction n’interdise pas l’action. Aussi, pour compenser les 10 millions supplémentaires que vous avez gelés, vous avez commencé, dès 2015, à faire peser sur les Seinomarins le poids de votre aveuglement : tentative de réduire l’aide apportée à Emmaüs, diminution effective des subventions aux associations de protection de l’environnement et de promotion de la citoyenneté, retrait de la Cité des Métiers, arrêt du soutien à la Chambre Régionale de l’Economie Sociale, etc. Mais tous n’ont pas été logés à la même enseigne. Si vous prétendez agir sous la contrainte, vos décisions prouvent non seulement que vous générez vous-même cette contrainte… mais aussi que vous n’en répartissez pas la charge équitablement : à côté des coupes sombres imposées à certains, le choix de rétablir un financement pour la Transat Jacques-Vabre ou le Salon Nautique, par exemple, montre que tout n’est pas revu à la baisse.
Où est la logique ?
Et que dire du dévoiement de notre politique mémorielle opéré fin 2015 pour subventionner une confrérie de charité, au mépris de la loi de laïcité de 1905 ? Plus près de toi mon dieu… mais toujours plus loin des Seinomarins ! Et ce n’est pas la feuille de route présentée lors de notre dernière séance plénière qui vous en rapprochera. De fait, les trois lettres de ce GPS ne désignent ni un Grand Projet Seinomarin ni même une Gestion Plus Solide, mais une Grave Panne Sociale promise à notre territoire et ses habitants. J’ai eu l’occasion de m’en inquiéter, au nom du groupe d’opposition « Pour les Seinomarins », lorsque nous avons discuté vos orientations politiques et budgétaires, en décembre. La traduction que vous en proposez, dans le budget qui nous sera soumis aujourd’hui, confirme nos inquiétudes et même les amplifie. Car deux mots caractérisent ce budget : artifices et sacrifices.
Où est le sérieux ?
Le premier artifice, c’est l’exposé d’une situation prétendument catastrophique, qui vous aurait imposé de trouver 60 millions d’euros d’économies. Certes, l’effet-ciseau se poursuit et même s’intensifie : les recettes réelles de fonctionnement diminuent et les dépenses obligatoires, notamment le poste lié au RSA, continuent d’augmenter. Ce n’est pas nouveau et cela impose évidemment le sérieux budgétaire. Mais, précisément, ce que vous nous proposez n’est pas sérieux.
D’une part, vous omettez de rappeler que l’essentiel de l’effort d’économies a été porté avant votre arrivée, en particulier depuis le plan de consolidation adopté en 2011. Il a permis d’inscrire le Département dans une trajectoire de désendettement maîtrisé mais régulier, tout en préservant des actions utiles aux Seinomarins et un niveau d’investissement de 170 millions d’euros par an, qui fait de notre collectivité le 3ème investisseur public de Normandie. Ce travail a porté ses fruits dès 2013, puis en 2014 et 2015. C’est lui qui vous a offert, au travers du compte administratif de 2014, les marges de manœuvre que vous avez malheureusement choisi de neutraliser aussitôt.
Où sont les engagements ?
D’autre part, vous grossissez la portée de la contrainte et des efforts mis en œuvre pour y faire face. Les recettes de fonctionnement diminuent de 7M€, tandis que les dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité progressent de 6,8M€. Il s’agissait donc de trouver 14M€ d’économies. Rien à voir avec les 60M€ revendiqués. Au demeurant, le gros de l’effort budgétaire repose sur la simple reconduction du niveau des dépenses effectivement réalisées en 2015 : l’essentiel des économies affichées, par rapport au BP 2015, sont en fait des mesures d’ajustement au réel… Vous engrangez ainsi les efforts de structure déjà engagés durant les années qui ont précédé votre arrivée. S’y ajoute l’effet mécanique des transferts à la Métropole Rouen Normandie, que notre majorité avait décidés. Ils permettent la diminution de 3M€ des dépenses de personnels. Enfin, la baisse du coût des marchés de transports scolaires et celle du coût de l’énergie pèsent aussi positivement, sans que le mérite vous en revienne. D’ailleurs, les dépenses d’administration générale, hors transferts à la Métropole, sont en augmentation. Pas de quoi crier au miracle !
Où sont les investissements ?
Le second artifice, c’est de vouloir nous faire croire, que malgré un autofinancement réduit de moitié en 2016 et un FCTVA en repli, vous pourriez augmenter les investissements, par rapport à 2015 (187M€ contre 170), tout en tenant un niveau de désendettement à 20M€ (contre 10 au BP 2015). On sort là des mathématiques pour entrer dans le domaine de la magie… mais, comme toujours, il y a un truc !
Ainsi, la notice explicative relative à la dette montre que, pour parvenir à un budget équilibré, malgré les injonctions contradictoires auxquelles il répond, vous inscrivez une prévision d’emprunts d’équilibre de 170,8 M€. Cela correspond au montant total à emprunter pour couvrir les dépenses budgétées, si elles étaient exécutées à 100%. Or, parallèlement, vous prévoyez de rembourser 110,3M€ en capital. Cela signifie que, si l’intégralité du budget était mise en œuvre, tant en recettes qu’en dépenses, le Département ne se désendetterait pas de 20M€… mais s’endetterait de 60M€. Là où vous revendiquez un effort d’économies, l’étude des documents budgétaires révèle un maquillage peu adroit mais bien à droite, qui masque un risque de dette accrue.
Où est le désendettement in fine ?
En réalité, pour atteindre l’objectif de désendettement que votre rapport fixe à 20M€ en 2016, il faudrait emprunter seulement 90,3M€… soit 80M€ de moins que votre inscription actuelle. Cela signifie qu’il faudrait aussi, pour préserver l’équilibre du budget, réduire du même montant les dépenses d’investissement, ainsi ramenées à 107M€ seulement. Soit un taux de réalisation de 57%… contre 90% ces dernières années ! Où est la bonne gestion ? Cette façon d’afficher des engagements pour ne pas les tenir ressemble fort à la pratique en vigueur, avant 2004, qui conduisait à accumuler les promesses d’investissement, en différant régulièrement leur réalisation, mais en rigidifiant au passage les marges de manœuvre du Département.
A moins que vous tentiez de vous prévaloir, le moment venu, des transferts de compétences intervenus début janvier vers la Métropole Rouen Normandie ? Il est vrai qu’en contrepartie, elle soulagera le Département de 30 millions d’euros d’emprunts. Bien que vous vous en défendiez, la tentation sera grande de vous en contenter, au risque de ne parvenir à aucun désendettement propre cette année.
Votre anesthésiant est peut-être efficace pour apaiser les tensions au sein de la majorité, en période d’arbitrages budgétaires. Mais il n’est pas viable dans la durée, sauf à conduire la collectivité et les Seinomarins dans le mur. A l’inverse, notre trajectoire pluriannuelle présentée fin 2014 aurait permis, si vous l’aviez respectée, d’alléger la pression, en maintenant avec 170 millions d’euros un objectif réaliste d’investissements, en mobilisant cette année le surplus que vous avez sacrifiés en 2015, en stabilisant l’effort de désendettement à 10 millions plutôt que 20, etc.
Où sont les bénéfices pour les Seinomarins ?
Au lieu de cela, vos artifices mettent en doute la sincérité de votre budget et apparaissent, en tout état de cause, comme de redoutables prétextes pour justifier les sacrifices imposés aux Seinomarins, à commencer par les plus démunis :
- suppression des bourses aux collégiens = 930 000 € inscrits aux budgets en 2015 et qui bénéficiaient aux familles aux revenus modestes de plus de 5000 collégiens, dans tout le département (entre 344 € et 100 € par an, selon les ressources du foyer) ;
- suppression des subventions aux centres de loisirs des communes = plus de 700 000 euros en 2015, qui correspondaient à la prise en charge de 70 centimes par jour et par enfant pour les accueils de loisirs et 1,20€ par jour et par enfant sur les séjours de vacances (proposez-vous aux communes de reporter sur les familles la suppression de l’aide du Département ?) ;
- suppression de la dotation pour les objets manufacturés nécessaires aux cours de technologies dans les collèges, sur la base de 5 € par élèves, soit un total de 140 000 € ;
- compression de l’enveloppe financière consacrée au Contrat de Réussite Educative Départemental, auquel sont désormais intégrés les dispositifs « tous au cinéma » et « un artiste un collège » ;
- fusion du pass’sport (réduit aux moins de 16 ans) et du pass’culture (placé sous condition de ressources), pour en diminuer le nombre de bénéficiaires ;
- diminutions des crédits destinés au Fond d’aide aux jeunes, aux actions en faveur de la jeunesse (-150 K€), au BAFA (+ suppression de l’aide au BAFD), à la citoyenneté, et même aux clubs de personnes âgées ;
- diminution aussi des aides aux clubs sportifs (- 190 K€) ;
- suppression de l’aide aux projets de solidarité internationale (-100 K€)…
A cette longue et triste liste s’ajoute une mesure inédite depuis 12 ans : la réduction (930 K€ soit près d’un million d’un seul coup !) de la contribution annuelle du Département au financement du Service Départemental d’Incendie et de Secours… au moment même où les pompiers volontaires s’inquiètent des conséquences du règlement opérationnel adopté par vos amis au SDIS !
Bref, vous ciblez des interventions du Département qui aidaient nos concitoyens à vivre mieux, à faire face aux difficultés, à agir au service des autres également, de la sécurité et de la qualité de vie. C’est comme cela, en la détournant de leur quotidien, que vous êtes en train d’éloigner notre collectivité des Seinomarins. Vous tournez même carrément le dos à ceux qui ont le plus besoin du Département. Eh bien, nous, nous leur tendrons la main, pour qu’ils expriment avec nous leur aspiration à plus de proximité et de solidarité.